La force cachée de Siu Lim Tao, par Chu Chong Tin

Ce texte a été publié dans le tout premier numéro de Insider dans les années 90. Il a pour sujet la première forme, Siu Lim Tao, et a été rédigé par Chu Chong Tin, à l’époque conseiller de la Lok Yiu International Martial Art Association.

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J’ai rencontré Yip Man alors que j’étais secrétaire de l’association des travailleurs de Hong Kong. Puisque Maître Yip enseignait le Ving Tsun au sein de l’association, j’ai pu avoir de nombreuses occasions de le croiser. Tous les jours, je pouvais l’écouter expliquer à ses élèves la théorie du Ving Tsun. J’étudiais les différentes façons d’utiliser son énergie et me suis profondément plongé dans ses théories concernant les composantes essentielles du Ving Tsun. Je découvris alors que celles-ci et la méthode de génération de force au sein de cet art étaient d’une élégance et d’une puissance incomparable. Par conséquent, je pris la décision de suivre maître Yip Man afin d’apprendre le Ving Tsun.

En tant que débutant, je commençais naturellement par la pratique de Siu Lim Tao. Avant même de devenir l’élève de maître Yip Man, j’avais déjà eu de nombreuses occasions de voir les autres élèves de Yip Man pratiquer Siu Lim Tao, cette forme me devint ainsi rapidement familière. Afin d’en apprendre plus en allant au delà des simples mouvements, je demandais à Yip Man pourquoi la première forme portait ce nom qui ne semblait pas très martial. Y avait-il une raison particulière ?

Il répondit qu’il s’agissait de «  construire une idée  ». Il ajouta que pour apprendre à apprécier la nature de «  la construction d’une idée  », il fallait pratiquer assidûment Siu Lim Tao. Je songeais parfois à la «  construction d’une idée  » même si cela ne faisait dans un premier temps pas sens pour moi. Finalement, je pris la décision d’abandonner mes recherches quant au sens de ce concept pour plutôt pratiquer Siu Lim Tao aussi souvent que possible. Après une longue période, je remarquais que je commençais à intégrer la «  construction d’une idée  » dans mes mouvements de Siu Lim Tao. La pratique de cette forme me donnait tant de plaisir que je ne pouvais plus arrêter de la pratiquer et de l’étudier. Petit à petit, je sentais qu’il y avait une force invisible qui emplissait chaque mouvement de Siu Lim Tao et permettait d’obtenir des mouvements dotés d’une puissance irrésistible. De l’extérieur, les mouvements semblaient être encore doux et gracieux. A partir de ce moment, je compris la signification de «  construire une idée  » ainsi que la raison pour laquelle Siu Lim Tao se nomme ainsi.

C’est pour cela que je nommais cette force invisible «  la force de l’idée  » (n.b : Le nom de la forme est : la petite idée) et déduis que Siu Lim Tao repose sur deux importantes composantes : (1) la force de l’idée et (2) la structure. On peut les analyser comme ceci :

1) La «  force de l’idée  » = elle stabilise les mouvements de telle sorte qu’une structure flexible est mise en place. Cette structure peut absorber de grandes quantités d’énergie sans se briser et est également capable de réagir.

La «  force de l’idée  » est la concentration de l’esprit permettant d’emplir chaque partie du corps de force interne. On part du principe que cela est accessible à tout le monde, cependant il est difficile pour les personnes non-entrainées de se concentrer pleinement. Siu Lim Tao est un outil afin de pouvoir le faire. Lorsque cette forme est correctement pratiquée, on est capable de transférer sa force interne dans n’importe quelle partie de son corps. On dit que quelqu’un a acquis la «  force de l’idée  » lorsqu’il peut maintenir sa concentration même durant l’exécution de mouvements rapides.

Prenons un exemple simple : un homme en bonne santé tombe d’une hauteur de 2 mètres. Ses pieds touchent le sol en premier. Il va soit se faire mal, soit perdre l’équilibre et finir par terre. Cependant, s’il est prêt, ses jambes vont assimiler la force causée par le contact du sol. Elles pourront alors réagir au moment de l’impact. Cela ne peut se produire que si les muscles sont détendus, faute de quoi les muscles ne fonctionneront pas. La détente de la musculature est le résultat de la combinaisons de la «  force de l’idée  » et de la nature spéciale des muscles. Des études ont montré que les muscles détendus peuvent absorber plus d’énergie et déplacer des charges plus lourdes que les muscles contractés (cet état étant pourtant en général considéré comme normal pour utiliser sa force.) La nonne Ng Mui qui inventa Siu Lim Tao avait déjà compris les caractéristiques principales de la musculature humaine il y a quelques centaines d’années. Cette forme nécessite de la détente dans la pratique lente et équilibrée des mouvements.

(2) La «  structure  » : La posture du Ving Tsun (Yee Chi Kim Yeung Ma) vise à ce que toute la force d’une personne soit dirigée vers un point précis. On doit alors penser à ce que la contraction des muscles au sein de l’abdomen permettent au torse et à l’abdomen de bouger de manière unie. Cela permet aux jambes d’être toujours prêtes à agir et produit «  la force de l’idée  ». Les mouvements fondamentaux de Siu Lim Tao, c’est à dire Tan Sao, Bong Sao et Fook Sao, sont théoriquement les mouvements les plus appropriés afin de déployer son énergie.

Ces mouvements partent d’une position dans laquelle les bras sont maintenus à angle droit. Quand cette posture est maintenue, il naît en vous un arc qui est capable de guider n’importe quelle force venant de l’extérieur. Si on maintient encore l’arc, il deviendra un cercle. Tan Sao et Fook Sao ont la forme d’un demi-cercle lorsqu’ils sont utilisés. Il faut savoir que que ce qui a la forme d’un cercle offre une meilleur résistance face à une force extérieure et peut produire une énergie plus grande quand mit en application. Par ailleurs, on peut ainsi accélérer plus rapidement et utiliser moins d’énergie si on compare à des mouvements adoptant une autre forme. La structure de Siu Lim Tao est ainsi basé sur des mouvements circulaires. Ces mouvements circulaires, combinés à «  la force de l’idée  » permettent des mouvements inarrêtables. Lorsque ces mouvements sont employés correctement, ils représentent la forme la plus efficace de défense et d’attaque.

Sur la base de l’analyse précédente et des connaissances scientifiques existantes, je suis convaincu qu’aucune force musculaire ne doit être utilisée durant la pratique de Siu Lim Tao. De cette façon, on ne se fatigue pas trop vite dans la pratique. Lorsqu’on utilise «  la force de l’idée  » dans son entraînement de Ving Tsun, alors on a atteint le plus haut palier dans cet art.

Je voudrais maintenant évoquer le fait que beaucoup d’élèves de Ving Tsun pratiquent leurs mouvements suivant des formes bien définies. On entendra donc un élève critiquer un autre parce que son Bong Sao est «  trop haut  » ou «  trop bas  » ou bien parce qu’un autre ne fait pas un mouvement selon les standards correspondants. En plus de ça, beaucoup de gens ont inventé le concept de «  Ving Tsun traditionnel  » ou de «  Ving Tsun modifié  ». En réalité, le nom des techniques de Siu Lim Tao ne renvoient pas à des positions prédéfinies. C’est pour cela qu’on peut appeler «  Bong Sao  » tout le processus de passage du Tan au Bong étant donné que la force rotative de l’action est libérée au cours d’un mouvement circulaire. Il en va de même pour les principes sous-tendant les autres mouvements de Siu Lim Tao, i.e la pleine utilisation de forces circulaires. Récemment, un débutant m’a demandé si le Bong Sao est une forme de défense négative dans la mesure où il est utilisé afin de détourner la force de l’adversaire lorsqu’il n’existe pas de meilleur alternative. Cela montre que la vraie théorie du Bong Sao n’était pas encore totalement comprise et que l’élève suivait toujours la compréhension généralement admise du Bong Sao. Selon moi, un Bong Sao correctement exécuté est le mouvement porteur de la plus grande puissance d’attaque, qu’il est le mouvement le plus agressif et offensif, capable de produire une force à laquelle l’adversaire ne pourra pas résister.

Pour finir, je conseille à chacun d’étudier Siu Lim Tao, d’analyser chaque mouvement de cette forme et de ne faire qu’un avec ses mouvements circulaires. Au cours de la pratique de Siu Lim Tao, on devrait se concentrer et essayer de pratiquer chaque mouvement de manière lente, sans discontinuité. Lorsque quelqu’un emploi l’Idée afin de contrôler ses mouvements, Siu Lim Tao revêt alors un grand intérêt. On peut sans doute, comme moi, en tirer beaucoup de joie, de satisfaction et de santé.

« Tu dois le mériter » : entretien avec Maître Lok Yiu

Cet interview provient d’un ancien numéro du magazine allemand « Budo Karate » au début des années 2000. Lok Yiu y parle de son entraînement mais aussi de l’avenir de cet art martial. 

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Maître Lok Yiu, tout d’abord félicitations pour votre 80ème anniversaire. Quel serait votre plus grand souhait pour ce jour ?

D’abord et avant tout la santé et le bonheur. En ce qui concerne le Wing Chun, je suis heureux qu’il y ait autant d’adeptes enthousiastes de notre style en Europe. Ce serait bien si son développement continuait si bien et que dans les prochaines années, encore plus d’élèves de mon To-Dai Wai Lam (Wilhelm Blech) venaient me voir, moi et ma famille, à Hong Kong. C’est toujours un plaisir pour moi de voir mes « petits-enfants » (élèves) et leurs progrès.

Avec vos 80 ans, vous être toujours frais et vif comme un jeune homme. C’est grâce au Wing Chun ?

(rires) Ça doit être ça. Je n’ai jamais négligé ma formation depuis le début. Je m’entraîne depuis plus de 50 ans.

Si vous regardez en arrière, à l’époque où vous étiez encore vous-même un étudiant du Grand Maître Yip Man, comment évaluez-vous le développement du style depuis lors ? Y a-t-il un changement dans l’enseignement aujourd’hui ? Les jeunes s’entraînent-ils différemment aujourd’hui ?

Les temps ont changé, c’est sûr. Quand j’ai appris de mon Si-Fu Yip Man, l’entraînement était extrêmement difficile. Je me suis entraîné de tout mon cœur et de toute mon énergie. Après tout, c’était à nous, à l’époque, d’établir le Wing Chun à Hong Kong. Nous avons réussi à le faire ensemble. Aujourd’hui, le Wing Chun est connu dans le monde entier et de nombreuses personnes le pratiquent mais souvent sans grand effort. Certains pensent qu’ils peuvent acheter le Wing Chun. C’est une erreur. Tu dois le mériter. J’espère vivement que les développements positifs prévaudront. A cet égard, je suis très satisfait de mon To-Dai Wai Lam. Il fait du bon travail en Europe.

Pourquoi pensez-vous que le Wing Chun a tant de succès ?

Lok Yiu : Le Wing Chun est devenu célèbre à Hong Kong grâce à de vrais combats. Beaucoup ont compris que le Wing Chun est un style qui convient vraiment au combat. Bien sûr, Bruce Lee a aussi fait beaucoup pour la diffusion du Wing Chun. D’autres enseignants ont également fait leur part. C’est bien que d’autres styles de Kung Fu aient aussi trouvé leurs adeptes dans le monde entier.

Quelles sont les caractéristiques les plus remarquables du Wing Chun ?

Une question intéressante. Le Chi Sau est le cœur et l’âme du Wing Chun. Il est important d’avoir le sentiment d’utiliser l’ensemble du corps, tout en maintenant toujours la souplesse et la stabilité dans tous les mouvements. Il y a des méthodes d’entraînement spéciales que mon Si-Fu a enseigné à certains de ses élèves.

La simultanéité et la pondération égale de tous les mouvements nécessaires, y compris l’attaque et la défense, est également un point important.

Un bon Wing Chun ne peut être atteint que par un travail de base très solide. Et la base est aussi la clé du Wing Chun. Seul celui qui l’a bien compris et l’a pratiqué correctement et avec persévérance peut vraiment apprendre le Wing Chun.

Votre étudiant Wilhelm Blech est venu vous voir pour la première fois il y a environ dix ans. Êtes-vous satisfait du développement du Lok Yiu Wing Chun en Europe ?

Quand Wai Lam est venu me voir pour la première fois, j’ai été prudent, bien sûr. Je ne le connaissais pas et je n’avais presque jamais eu de contact avec des non-Chinois auparavant. Mais après un certain temps d’apprentissage, j’ai réalisé que le Wing Chun est aussi proche de son cœur qu’il l’est du mien. J’en ai ensuite parlé à ma famille et je l’ai finalement accepté dans ma famille puis je lui ai enseigné. Il est mon To-Dai depuis dix ans maintenant. Je ne regrette pas ma décision. Je ne veux pas abuser de félicitations mais je suis très fier de lui. Il a beaucoup fait pour la diffusion du Wing Chun en Europe. Quand ses étudiants viennent me voir, je vois bien ce qu’il leur offre.

Quel conseil donneriez-vous à un débutant du Wing Chun ?

Avant de choisir un professeur, vous devriez apprendre à le connaître et savoir où et de qui il a appris. Vous devez aussi lui faire confiance. Sans la base humaine, on ne peut pas apprendre d’un humain.

Vous ne devriez jamais oublier de qui vous avez appris. Et vous devriez aussi respecter vos camarades de classe et aider les plus jeunes. Surtout pour nous, Chinois, la tradition d’honorer et de respecter nos ancêtres est importante, et cela s’applique aussi à notre famille de Kung Fu.

Vous ne devriez utiliser votre Wing Chun que pour vous défendre.