Interview de Maître Lok Yiu

Cette interview est extraite de Insider numéro 4, le magazine publié par l’ELYWCIMAA dans les années 90. Il a pour sujet la tradition des art martiaux chinois.

Une fois de plus, nous avons eu la possibilité de poser différentes question à maître Lok Yiu. En tant qu’européens, ces réponses nous permettent de mieux comprendre la mentalité et la tradition chinoise.

Question : Qu’est-ce que la cérémonie du thé et que signifie-t-elle ?

Maître Lok Yiu : Par la cérémonie du thé, on certifie l’acceptation d’un élève (Todai) par son professeur (SiFu). Dans la culture chinoise, il est tout à fait normal qu’au sein d’une famille les jeunes servent les anciens. Lorsqu’un nouvel élève propose du thé à un Si-Fu et que celui-ci l’accepte, cela marque l’acceptation en tant que nouveau Todai ainsi qu’au sein de sa famille (de Kung Fu).

Question : Qui est SiFu et qui est To-Dai ?

Maître Lok Yiu : La relation entre SiFu et Todai est comparable à celle unissant un père à son fils. Un Todai suit son Sifu tout au long de sa vie, le style pratiqué ou l’école n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est avant tout la relation Sifu/Todai. Si Yip Man avait pratiqué un autre style de Kung Fu, vous ne pratiqueriez pas le Wing Chun.

Question : En Europe, on parle beaucoup de différents combats entre les membres de différentes écoles. À quoi ressemblaient ces combats ?

Maître Lok Yiu : Les partisans d’un style de Kung Fu ne doivent pas s’agresser mutuellement au sein des écoles. Ces manières sont dignes de la mafia. Lorsqu’on souhaite se tester, on annonce son arrivée et demande à ce que quelqu’un se tienne prêt pour un échange.

Question : à quoi ressemblaient les cours auprès du grand-maître Yip Man ?

Maître Lok Yiu : Mon Sifu Yip Man n’a jamais dirigé sa propre école et n’avait pas d’heures de cours fixes. Personnellement, je le suivais toujours et lorsque Sifu le souhaitait, nous nous entraînions. Parfois, nous parlions longuement de Wing Chun, la théorie étant également très importante. Il est nécessaire de ne pas seulement pratiquer une technique mais aussi de la comprendre. Plus tard, il y eu des cours collectifs sous la direction des Sihings (les élèves aînés). On peut dire qu’il n’y a que la première génération d’élève qui a pratiqué directement avec Yip Man et qui pouvaient l’observer directement durant sa pratique.

Yip Man était cependant présent aux entraînements, c’est simplement qu’il n’a que rarement pris personnellement part aux cours. Il n’a jamais voulu enseigner le Wing Chun publiquement et souhaitait retourner à Foshan, d’où il était arrivé en 1950, aussitôt que la situation en Chine le permettrait. Il n’a lancé les cours dans «  l’association des travailleurs du restaurant  » qu’à cause des difficiles conditions de vie de l’époque, il lui fallait un endroit pour dormir et de quoi manger. Certains de ses premiers élèves ont aussi vécu avec lui, ont pris soin de lui et lui tenaient compagnie.

Question : Pourquoi le grand-maître Yip Man n’a-t-il pas désigné de successeur ?

Maître Lok Yiu : À Hong Kong, tout le monde sait qui a vraiment appris avec Yip Man. À l’époque, peu de gens ont travaillé suffisamment dur, la plupart ne pratiquant le Kung Fu que comme un hobby. Personne ne songeait alors à pratiquer le Kung Fu en tant que professionnel. Celui qui détient vraiment le Wing Chun ne dira jamais aux autres «  je suis le meilleur, viens apprendre chez moi !  ». Quand on souhaite vraiment apprendre le Wing Chun, on va directement chez lui !